Le Consentement forcé (Michel GUYOT DE MERVILLE)

Comédie en un acte, avec un divertissement.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 13 août 1738.

 

Personnages

 

ORGON

CLÉANTE, fils d’Orgon

CLARICE, femme de Cléante

LISIMON, ami d’Orgon et de Cléante

TOINETTE, suivante de Clarice

 

La Scène est à Auteuil.

 

 

PRÉFACE

 

Si un Auteur doit être sensible à des applaudissements qui l’honorent, il doit encore avoir plus d’égard pour des critiques qui l’éclairent. Le Public est non-seulement notre juge, il est aussi notre maître ; et c’est se rendre indigne de ses éloges que de ne pas profiter de ses censures. Aussi n’ai-je point balancé à corriger certains défauts que l’on a remarqués d’abord dans la Scène X. et dans le dénouement du Consentement forcé.

Mais lorsque quelques personnes, trop attachées à des beautés de mode condamnent dans un ouvrage ce qui n’y est pas conforme, je pense qu’un Auteur peut ne point déférer à leurs décisions, et qu’il est même en droit de les combattre. Ces personnes, peu flattées de la simplicité de mon style prétendent que j’aurais dû le rendre plus délicat, plus fin ; en un mot, plus épigrammatique ; et ils censurent dans cette pièce ce qu’ils louent eux-mêmes, ou plutôt ce qui les frappe malgré eux, dans les Comédies de Molière. Je ne sais si je ne leur prête point, à l’égard de cet excellent Écrivain, des sentiments que peut-être ils n’ont pas. Mais, au moins, ne peuvent-ils disconvenir du plaisir que ses pièces font encore tous les jours aux spectateurs. Diront-ils qu’en faveur de leur ancienneté on y rit par complaisance ou par habitude ; et que ce qui était bon autrefois, ne vaut plus rien aujourd’hui ? Il ne leur reste que ce retranchement, où je me garderai bien de les attaquer.

Pour moi, qui fais gloire de prendre Molière pour modèle, sans me flatter de pouvoir jamais l’égaler, j’ai voulu faire une Comédie qui plût sur le théâtre, sans éblouir, et qui se soutînt à la lecture. Or je ne vois que le sentiment et le bon sens qui puissent produire ce double effet. Quelques-uns de nos Auteurs ont beau vouloir mettre en crédit leurs brillants et leurs saillies ; ce prétendu esprit, comme l’expérience le prouve, ne plaît que dans la nouveauté. Sa pointe, aiguisée avec affectation, s’émousse à la vue, dès qu’on la considère de près ; et je pourrais citer plusieurs de ces traits d’esprit, applaudis sans réflexion, qui, dans le fond, ne sont rien moins qu’ingénieux. Ce n’est pas en courant après l’esprit qu’on l’atteint. Jaloux de sa liberté, il fuit ceux qui le cherchent, et ne se présente qu’à ceux qui l’attendent. Je ne prétends pas néanmoins que nos bonnes pièces manquent d’esprit. Elles ont l’esprit qui convient à la Comédie ; c’est-à-dire, l’esprit solide, qui n’est pas celui avec lequel on brille dans les cercles et dans les ruelles, où l’on ne demande qu’un plaisir vif et passager. C’est par cet esprit simple, vrai et naturel, que les pièces de Molière ont toujours plu et plairont toujours. Le Glorieux, la Métromanie, l’École des Amants, la Pupille, et quelques autres Comédies de notre temps, ont la même destinée ; et je crois que c’est-là la seule et véritable Comédie.

 

 

Scène première

 

LISIMON, CLÉANTE

 

LISIMON.

La joie que j’ai de vous voir, Cléante, m’est d’autant plus sensible, que je ne m’y attendais pas. Quoi ! vous quittez Paris dans le temps que les plaisirs y règnent !

CLÉANTE.

On n’est pas toujours dans les mêmes dispositions, mon cher Lisimon. On change à tout âge ; et ces plaisirs, autrefois si flatteurs pour moi me touchent plus.

LISIMON.

Ce que vous me dites-là est-il bien sincère ?

CLÉANTE.

Rien n’est plus vrai, je vous assure.

LISIMON.

J’applaudis de bon cœur à de si beaux sentiments, et je m’en réjouis pour l’amour de vous. La seule chose qui me fâche, c’est que vous avez choisi une saison si peu favorable pour les amusements de la campagne. Auteuil est fort joli en été ; mais il ne peut être agréable en hiver qu’à une espèce de Misanthrope comme moi.

CLÉANTE.

Il n’est pas en mon pouvoir de mieux prendre mon temps. Car (et c’est ce qui me fait de la peine) ma visite est intéressée.

LISIMON.

Je puis vous rendre quelque service, mon cher Cléante ?

CLÉANTE.

Un service de la dernière importance.

LISIMON.

Voilà pour moi un surcroît de plaisir.

CLÉANTE.

Je vous demande pardon de la liberté que j’ai prise ; mais j’ai amené une personne avec moi.

LISIMON.

Votre excuse m’offense. Quel que soit celui pour qui vous vous intéressez, il est digne de mon estime, dès qu’il mérite la vôtre. Mais où donc est cet ami ? Pourquoi n’entre-t-il pas ?

CLÉANTE.

Un moment, je vous prie. Vous allez être étonné. C’est une Dame que je vous amène.

LISIMON.

Une Dame !

CLÉANTE.

Vous ne serez pas fâché de la connaître.

LISIMON.

Voilà donc comme vous êtes changé ?

CLÉANTE.

C’est la plus grande preuve que j’en puisse donner.

LISIMON.

Effectivement, c’en est une fort belle, qu’une nouvelle amourette !

CLÉANTE.

Le terme est trop faible. C’est un véritable amour, un amour pur et solide, puisqu’il est fondé sur l’estime et sur la raison.

LISIMON.

Style ordinaire des amants.

CLÉANTE.

Rien ne pourra jamais me détacher d’elle.

LISIMON.

Ce n’est pas la première fois que vous tenez ce langage.

CLÉANTE

Si vous connaissiez Clarice ; si vous saviez combien elle a de mérite...

LISIMON.

Bon ! ne fais-je pas de quel œil un amant voit sa maîtresse ? Je vais vous faire son portrait, si vous voulez.

CLÉANTE.

Elle n’est pas ma maîtresse.

LISIMON.

Comment ?

CLÉANTE.

C’est ma femme.

LISIMON.

Vous êtes marié ?

CLÉANTE.

Depuis huit jours.

LISIMON.

Quoi ! vous vous mariez sans que j’en sois informé, moi qui ai toujours été si fort attaché à votre famille ; moi l’ami intime de votre père, et encore plus le vôtre !

CLÉANTE.

C’est cette raison même qui m’a porté à vous cacher ce mariage. Vous vous y seriez sans doute opposé, et j’ai craint l’effet que pouvait faire sur moi l’amitié dont vous m’honorez.

LISIMON.

Je conçois. Vous avez formé cette union sans le consentement de votre père.

CLÉANTE.

J’ai tout fait pour l’obtenir ; mais mon père a été inexorable ; et je tremble de me voir pour jamais l’objet de son indignation, si vous me refusez le secours que j’attends de votre bonté.

LISIMON.

Oh ! je ne doute plus de la violence de votre amour, et il faut en effet que votre épouse ait bien du mérite, pour avoir fixé un cœur comme le vôtre.

CLÉANTE.

Ah ! que ne pouvez-vous entendre son éloge d’une autre bouche que la mienne ! Car je sens bien que dans l’état où je me trouve mon témoignage doit vous être suspect de prévention, ou d’artifice. Ne vous figurez pas que j’aie été séduit par des charmes, qui ne frappent que les yeux. Sa douceur, sa modestie, sa sagesse, son attachement à ses devoirs, son aversion pour les vains amusements du Sexe, une humeur toujours égale, la bonté de son cœur, enfin la solidité et la délicatesse de son esprit, surpassent encore sa beauté, quelque éclatante qu’elle soit. Vous ne croyez pas, j’en suis sûr, la moitié de ce que je vous dis ; et cependant je ne vous dis pas la moitié de ce qui en est.

LISIMON.

Mais quel est donc le motif du refus de votre père ?

CLÉANTE.

L’intérêt. Avec toutes ces qualités, Clarice a encore de la naissance : mais elle n’est pas riche.

LISIMON.

Plaisante raison ! Si votre père pensait comme moi, cette difficulté ne l’aurait pas arrêté, supposé que votre épouse fut aussi parfaite que vous le dites.

CLÉANTE.

Elle l’est en effet : mais mon père s’imagine que je lui en impose, et il se persuade que tous les éclaircissements où il pourrait entrer là-dessus, bien loin de détruire cette idée, ne serviraient qu’à la confirmer.

LISIMON.

Votre situation me touche. Que puis-je faire pour votre service ?

CLÉANTE.

Mon père, que les affaires de son commerce ont retenu quelques mois en Province, est enfin de retour à Paris.

LISIMON.

Il est revenu ? J’en suis ravi. Voulez-vous que je lui aille parler ?

CLÉANTE.

Vous n’aurez pas la peine de l’aller chercher. Je sais de bonne part qu’il doit vous venir voir aujourd’hui. Il ne tardera pas. J’appréhendais même qu’il ne m’eût devancé.

LISIMON.

Le bon homme cherche à évaporer sa bile. Je m’y attends. Je vous promets de mettre tout en œuvre, pour vous réconcilier avec lui : mais je ne vous réponds pas du succès de mes soins ; car il est terriblement entêté.

CLÉANTE.

Il m’est venu une idée, dont je crois la réussite infaillible, dès que vous voudrez bien nous seconder, comme vous m’en flattez. Je ne juge pas à propos de paraître devant lui. Outre qu’il me l’a défendu expressément, ma vue ne ferait qu’augmenter sa colère. Il s’agit de me justifier, et il n’y a que le mérite de Clarice qui puisse produire cet effet. Je voudrais donc qu’il la vit, mais sans savoir qu’elle est ma femme, afin qu’il l’examinât sans prévention. Encore une fois, j’ose m’assurer que, s’il la connaissait, il approuverait notre mariage.

LISIMON.

Fort bien. Je lui dirai que c’est une de mes parentes.

CLÉANTE.

Votre nièce, par exemple.

LISIMON.

Encore mieux. Votre père fait que j’en ai une en Province ; mais il ne l’a jamais vue.

CLÉANTE.

Que je vous ai d’obligation ! Je ne puis vivre heureux sans la possession de Clarice ; mais je ne puis l’être aussi sans l’amitié de mon père.

LISIMON.

Ne nous arrêtons pas ici davantage. Je rougis de la laisser seule si longtemps.

CLÉANTE.

Elle est dans la chambre voisine, et je cours la chercher.

LISIMON.

Je vous suis. Je veux l’aller recevoir.

 

 

Scène II

 

LISIMON, CLÉANTE, CLARICE

 

CLÉANTE.

Venez, Madame, venez remercier le meilleur de tous les amis.

CLARICE.

Ce n’est pas sans scrupule, Monsieur, que je me présente devant vous : mais je n’ai pu refuser aux instances de Cléante une démarche, dont je crains bien que le succès ne réponde pas à ses espérances.

LISIMON.

Je ne saurais, Madame, me plaindre de votre délicatesse. Je n’ai pas l’honneur de vous être connu ; mais je vous supplie d’être persuadée que, si je puis contribuer à votre félicité commune, je n’aurai jamais eu plus de plaisir.

CLÉANTE.

Lisimon a la bonté d’entrer dans nos intérêts et de se prêter à notre entreprise. Il veut bien, Clarice, que vous passiez ici pour sa nièce, et je ne doute pas que ce titre ne prévienne mon père en votre faveur.

CLARICE, à Lisimon.

Ah ! Monsieur, quelles grâces n’ai-je pas à vous rendre ?

LISIMON.

Point de remerciements, Madame, je vous prie. Je ne les ai point encore mérités. Regardez-moi donc comme votre oncle, et commandez dans ma maison comme ma nièce. Permettez que je vous quitte un instant. Je vais tout disposer pour la réception de Monsieur Orgon.

 

 

Scène III

 

CLÉANTE, CLARICE

 

CLARICE.

Ah ! Cléante, ma frayeur redouble à mesure que le moment fatal approche.

CLÉANTE.

Ne vous alarmez point, ma chère Clarice.

CLARICE.

Hélas ! quand je pense que je vais parler à un homme qui me hait, qui me regarde comme l’unique cause de ses chagrins, et de la perte de son fils ; quand je me le représente dans la colère violente où il est contre vous et contre moi, je frémis du danger où je m’expose.

CLÉANTE.

Votre crainte est frivole. Si vous paraissiez à ses yeux sous le nom de ma femme, je conçois que vous auriez alors un furieux orage à essuyer. Mais il ne vous connaît point, et vous avez l’avantage de le connaître. Non, Clarice, le péril que vous courez n’est rien. Mais fût-il aussi terrible que votre imagination vous le représente, que ne devez-vous point entreprendre, pour éviter le malheur qui nous menace ? Ah ! si mon père allait nous séparer pour jamais... Je vois déjà que cette triste idée toute éloignée qu’elle est, vous pénètre le cœur. Vous pleurez, Clarice, vous pleurez ! Ne me dérobez point vos larmes. Elles sont des marques de votre tendresse et de votre vertu, elles naissent de l’une et de l’autre, et vous sentez qu’en me perdant, vous perdriez une réputation qui vous est aussi précieuse que je vous suis cher.

CLARICE.

C’en est fait, Cléante ; mon courage revient et il n’y a point de danger que je n’affronte. C’est vous que je dois sauver. Je n’aurai plus que vous devant les yeux. Quel bonheur, si je puis réussir ! Si je ne réussis pas, nous aurons fait, du moins, tout ce que la raison et la Nature exigent de deux cœurs unis par la vertu.

 

 

Scène IV

 

CLÉANTE, CLARICE, TOINETTE

 

TOINETTE.

Monsieur, je vous annonce que Monsieur votre père vient d’arriver.

CLÉANTE.

Cela suffit.

CLARICE.

Ah ! ciel !

TOINETTE,

Quoi ! Madame, vous tremblez encore !

CLÉANTE.

Allons, Clarice, c’est maintenant que vous avez besoin du courage que vous me promettiez tout à l’heure.

CLARICE.

Pardonnez-moi ce premier mouvement ; il n’aura pas de suite, je l’espère. Mais retirez-vous, et ne paraissez point que je ne vous avertisse.

CLÉANTE.

Adieu. Songez que ma destinée est entre vos mains.

 

 

Scène V

 

CLARICE, TOINETTE

 

TOINETTE.

Je me flatte, Madame, que tout ira bien ; et la qualité de nièce que Monsieur Lisimon m’a dit qu’il vous avait donnée, lève toutes les difficultés qui pouvaient vous effrayer. Mais je vois entrer Monsieur Orgon.

 

 

Scène VI

 

ORGON, LISIMON, CLARICE, TOINETTE

 

ORGON.

Je serai charmé de la voir.

CLARICE, bas.

Toinette, ne m’abandonne pas.

TOINETTE, bas.

Oh ! je n’ai garde.

LISIMON.

Ma nièce, voici Monsieur Orgon, dont vous aurez, sans doute entendu parler à mon frère.

ORGON.

J’ai l’avantage, Mademoiselle, d’être de ses intimes amis.

LISIMON, bas.

Excusez sa timidité.

ORGON.

Mon ami, vous voulez bien souffrir que je l’embrasse.

LISIMON.

Vous lui faites honneur.

ORGON, s’avançant vers Clarice.

Permettez, Mademoiselle, que j’aie le plaisir... Comment donc ! Qu’avez-vous ?

CLARICE.

Toinette, soutiens-moi.

TOINETTE.

Ah ! ma chère maîtresse !

LISIMON.

Ma nièce !... Elle se trouve mal. Allez vite, Toinette, lui faire prendre l’air, et qu’on lui donne tous les secours dont elle aura besoin.

Elles sortent.

 

 

Scène VII

 

ORGON, LISIMON

 

ORGON.

Cet accident-là lui est survenu bien mal-à-propos.

LISIMON.

Ce ne sera rien. Elle est encore un peu fatiguée du voyage...

ORGON.

C’est une personne très aimable, et une fille de votre frère aurait bien convenu à Cléante. Mais le fripon... Vous savez apparemment la belle action qu’il a faite ?

LISIMON.

Vous voulez parler de son mariage ?

ORGON.

Que vous en semble, Lisimon ? Ne suis-je pas bien malheureux d’avoir un fils tel que lui ?

LISIMON.

Je vous plains. Vous êtes-vous bien porté dans votre voyage ?

ORGON.

Assez bien. Quand on souhaite des enfants, on ne fait guères ce que l’on souhaite.

LISIMON.

Vous avez raison. Depuis quand êtes-vous de retour ?

ORGON.

Depuis avant hier. On se tue pour amasser du bien à ces ingrats-là, et en voilà la récompense. Combien d’argent n’ai-je pas dépensé pour l’éducation de Cléante ? Et vous voyez comme il en profite ! L’auriez-vous cru capable d’un tel égarement ?

LISIMON.

Non, car il m’a toujours paru assez sage.

ORGON.

Prendre une femme sans bien !

LISIMON.

Voilà le mal.

ORGON.

Par amourette !

LISIMON.

Mais, vous qui parlez, mon cher Orgon, n’avez-vous pas aimé dans votre jeunesse ?

ORGON.

Sans doute, j’ai aimé ; j’ai aimé, je ne le nie point. Mais l’amour ne m’a jamais fait faire de folies.

LISIMON.

C’était donc un amour bien extraordinaire.

ORGON.

Ce que c’est qu’un jeune étourdi ! Il ne faut qu’un petit nez tourné d’une certaine façon, pour lui bouleverser la cervelle. Et se marier encore malgré moi !

LISIMON.

Vous n’avez pas voulu lui accorder votre consentement.

ORGON.

Faut-il pour cela qu’il s’en passe ?

LISIMON.

Ce n’est pas mon sentiment.

ORGON.

Je lui ferai voir ce que c’est que l’autorité d’un père. C’est un mariage nul de toute nullité.

LISIMON.

Il faudra voir.

ORGON.

Comment ! il faudra voir ! Oh ! cela est tout vu.

LISIMON.

Ce mariage...

ORGON.

Sera cassé.

LISIMON.

On pourrait trouver quelque expédient...

ORGON.

L’expédient c’est de le casser.

LISIMON.

Je veux dire quelque tempérament pour...

ORGON.

Je prétends qu’on le casse.

LISIMON.

Calmez-vous. Je vois ma nièce qui revient.

 

 

Scène VIII

 

ORGON, LISIMON, CLARICE, TOINETTE

 

LISIMON, à Clarice.

Hé bien ! comment vous trouvez-vous ?

CLARICE.

Fort bien, mon oncle ; et ma faiblesse est entièrement dissipée.

ORGON.

J’en suis en vérité ravi.

À Lisimon.

Ce qui m’étonne, c’est que cet évanouissement lui ait pris au moment que je l’embrassais.

TOINETTE.

Croyez-vous, Monsieur, qu’on puisse embrasser une personne comme vous sans émotion ?

ORGON.

Qu’en dois-je croire, Mademoiselle ? C’est à vous à expliquer ce mystère.

CLARICE.

Je suis trop sincère pour vous cacher que c’est votre présence qui a produit cet accident.

TOINETTE, à Orgon.

Que vous ai-je dit ?

LISIMON.

Comment ! ma nièce ! Qu’est-ce que cela signifie ?

CLARICE.

En voyant Monsieur, j’ai cru voir un père que je chéris infiniment.

ORGON, à Lisimon.

Est-ce que je ressemble à votre frère ?

LISIMON.

Je n’y avais pas pris garde ; mais elle m’en fait apercevoir.

ORGON.

Sérieusement ?

TOINETTE.

Oui, vous avez des yeux... une bouche... Je ne puis pas bien dire ce que c’est ; mais il y a mille gens qui se ressemblent moins.

ORGON.

Elle l’a remarqué d’abord ! Cela est tout-à-fait singulier !

CLARICE.

Les traits d’un père, digne de la plus parfaite vénération, font toujours une impression profonde sur l’esprit d’une fille qui fait son devoir.

ORGON.

On ne peut pas mieux parler.

LISIMON.

Je vous assure que vous seriez encore plus content de ses sentiments, si vous la connaissiez.

CLARICE.

Il ne me conviendrait pas de les développer ici. Je craindrais qu’on ne m’accusât d’affectation et d’orgueil.

ORGON, à Lisimon.

J’ai entendu dire beaucoup de bien de votre nièce. Mais, en vérité, ce que j’en vois par moi-même, passe encore l’idée qu’on m’en a donnée.

LISIMON.

J’espère que vous n’en rabattrez point, quand vous la connaîtrez mieux.

CLARICE, à Orgon.

L’estime d’une personne comme vous, Monsieur, est pour moi d’un prix infini.

ORGON.

Ah ! que votre père est heureux d’avoir une fille si raisonnable ! Pourquoi mon coquin de fils n’a-t-il pas un pareil caractère ?

CLARICE.

Votre fils, Monsieur ! Avez-vous lieu de vous plaindre de lui ?

ORGON.

Que trop, vraiment. Mais laissons-le là. Il ne mérite pas d’être mêlé dans un entretien si aimable.

CLARICE.

Il suffit qu’il vous appartienne, pour que je m’intéresse à ce qui le regarde. Qu’a-t-il donc fait qui vous irrite si fort contre lui ?

ORGON.

Une extravagance impardonnable. Il s’est, pendant mon absence, amouraché d’une certaine Clarice, et l’a épousée sans mon aveu.

CLARICE.

Le cas est grave. Mais peut-être n’est-il pas si coupable que vous le pensez.

ORGON.

Vous voulez prendre sa défense ?

LISIMON.

Ma nièce, vous aurez de la peine à le justifier.

ORGON, à Lisimon.

Elle a bien de l’esprit ; mais elle embrasse une mauvaise cause.

CLARICE.

La seule chose qui m’arrête, c’est que je me fais scrupule de combattre vos sentiments.

ORGON.

D’autant plus que le succès est impossible.

CLARICE.

Il y a des circonstances qui rendent quelquefois une action moins criminelle. Je parle par conjecture. Supposons que l’attachement de Monsieur votre fils pour Clarice, au lieu d’être fondé sur un fol amour, comme apparemment vous le pensez, n’ait été produit que par une véritable estime pour quelques bonnes qualités, qu’il aura cru apercevoir en elle.

ORGON.

C’est une supposition en l’air.

CLARICE.

Je l’avoue. Mais si je disais vrai, par hasard, ne conviendriez-vous pas que Monsieur votre fils serait alors plus excusable, que s’il avait été emporté par une passion, que je condamne comme vous, lorsque l’estime ne l’a pas fait naître.

TOINETTE.

La chose est claire.

ORGON.

Soit.

CLARIGE.

Je ne saurais vous dire si Clarice a quelque mérite. Je le suppose. Mais quant à Monsieur votre fils, vous ne pouvez pas disconvenir qu’il n’en ait beaucoup.

ORGON, à Lisimon.

Qu’en sait-elle ?

LISIMON.

C’est un fait que vous ne sauriez nier.

ORGON, d’un air fâché.

Il est vrai que le fripon n’en manque pas.

CLARICE.

Hé bien ! Monsieur, si une fille n’a pu résister au pouvoir légitime que le mérite a sur les cœurs ; si sa raison lui a fait entendre que la possession d’un homme en qui il éclatait, la rendrait parfaitement heureuse ; enfin, si elle s’est aveuglée elle-même jusqu’à lui sacrifier sa réputation, en consentant, ou peut-être en l’engageant à une union si irrégulière, ne m’avouerez-vous pas qu’il faut qu’elle ait aimé votre fils avec bien de la tendresse, et ne la trouvez-vous pas plus malheureuse que criminelle ?

ORGON.

Oh ! je vous prie, Mademoiselle, finissons.

À Lisimon.

Comme elle assaisonne tout ce quelle dit ! Quand ce serait sa propre cause, elle ne la défendrait pas mieux.

LISIMON.

Vous sentez donc la force de ses raisonnements ?

ORGON.

Je sens... oui... que tout cela est une belle imagination.

CLARICE.

Si vous avez là-dessus des lumières que je n’ai pas, je n’ai plus rien à dire.

ORGON.

Je ne sais point le fond de toute cette intrigue ; mais je gagerais bien qu’elle n’est pas telle que vous la représentez. Après tout, quand cela serait, il me reste toujours une raison très forte, qui m’empêchera d’approuver le mariage en question.

CLARICE.

M’est-il permis, Monsieur, de vous demander quelle est cette raison ?

ORGON.

C’est que Clarice n’a pas de bien.

CLARICE.

Hé ! Monsieur, si elle n’a pas apporté de richesses à votre fils, elle en fera plus humble dans sa conduite, plus réservée dans sa dépense, et d’autant plus reconnaissante qu’il aura été plus généreux. Il me semble que je suis à sa place. Si j’avais un époux à qui je dusse tout, je mettrais mon honneur et mon devoir à faire sa félicité. Je n’aurais d’autre loi que ses désirs, d’autre satisfaction que la sienne ; et je tâcherais enfin de remplacer le bien que je ne lui aurais pas donné, par des vertus qui sont infiniment plus estimables.

ORGON.

Il suffit ; je ne veux plus vous écouter.

CLARICE.

Je serais au désespoir de vous déplaire, et je vais...

ORGON.

Vous ne m’entendez pas ; non ; votre conversation m’enchante[1]. Mais parlons d’autre chose.

TOINETTE, à part.

Monsieur Orgon craint de n’avoir pas raison.

CLARICE.

Je n’ai que trop abusé de votre bonté, et je me retire.

ORGON.

Hé ! non, Mademoiselle... Attendez donc.

LISIMON.

Laissez-la aller. Elle a quelques ordres à donner. Vous ne nous quittez pas sitôt, et vous aurez tout le temps de l’entretenir.

 

 

Scène IX

 

ORGON, LISIMON, TOINETTE, qui écoute

 

ORGON.

Par ma foi, Lisimon, vous avez-là une nièce d’un mérite incomparable.

LISIMON.

Il ne me siérait pas de faire son éloge ; mais je ne puis m’empêcher de convenir qu’elle a l’esprit bien fait, et le cœur bien placé.

ORGON.

Ils sont au-dessus de tout, et se soutiennent mutuellement. Que l’un est venu à propos au secours de l’autre ; et avec quelle adresse elle allait à son but par un détour !... À présent que j’y réfléchis, il me vient certains soupçons.

LISIMON.

Vous avez des soupçons ?

ORGON.

Très bien fondés, et qui autorisent un projet...

LISIMON.

Qu’est-ce que c’est ?

ORGON.

Avant que de vous en faire part, je veux être sûr de mon fait mais il faudrait pour cela que j’eusse un entretien secret avec elle.

LISIMON.

Je ne vois-là ni difficulté, ni inconvénient.

ORGON.

Ayez donc la bonté d’aller dire à votre nièce que je voudrais lui parler en particulier.

LISIMON.

Quoi ! vous ne voulez pas m’apprendre ?...

ORGON.

Patience, mon cher ami, patience : vous le saurez.

LISIMON.

Je vais donc vous l’envoyer.

À part.

Quelle idée lui passe par la tête ?... Ah ! ah ! que faisiez-vous là, Toinette ?

TOINETTE.

À vous dire le vrai, Messieurs, j’écoutais.

ORGON.

Elle est sincère.

LISIMON, à part.

Comment donc ?

ORGON.

Ne la grondez pas. Elle a fort bien fait, et je suis ravi qu’elle nous ait entendus. Approchez Toinette, approchez ; et vous, Lisimon, faites-moi le plaisir que je vous ai demandé.

LISIMON.

Vous allez être satisfait.

 

 

Scène X

 

ORGON, TOINETTE

 

TOINETTE, à part.

Il va me questionner. Tenons ferme.

ORGON.

Je vois, Toinette, que vous êtes franche, et je compte que vous m’allez dire la vérité.

TOINETTE.

Vous avez tout lieu de l’espérer, Monsieur. La sincérité est ma vertu favorite. Que voulez-vous savoir ?

ORGON.

Quel est d’abord le motif qui vous portait à nous écouter ?

TOINETTE.

L’intérêt que ma maîtresse et moi prenons à ce qui vous regarde.

ORGON.

Je me suis attendu à cette réponse. N’est-il pas vrai que ma vue a fait quelque impression sur elle ?

TOINETTE.

Certainement ; et cette impression a même été très forte.

ORGON.

Cet évanouissement si singulier n’était-il pas une suite de cette impression ?

ΤΟΙΝΕΤΤΕ.

Une suite fort naturelle ; et vous devez vous souvenir de ce qu’elle vous a dit à cette occasion.

ORGON.

Sur quoi ? Sur ma prétendue ressemblance avec son père ? Ah ! la rusée ! Oui, oui, de la ressemblance !... Hem ! qu’est-ce que cela veut dire ?

TOINETTE.

Ce que cela veut dire ?

ORGON.

Oui... Allons, Toinette ne vous démentez point. Voilà une belle occasion de signaler cette sincérité, votre vertu favorite.

TOINETTE.

Allons donc, Monsieur : ce n’est que pour m’éprouver que vous faites semblant d’être si curieux. Une personne de votre mérite n’est pas susceptible d’un pareil défaut.

ORGON.

Non, j’agis de bonne foi.

TOINETTE.

Se prévaloir de ma franchise ! Oh ! cela n’est pas bien. Qui le croirait, à votre physionomie ?

ORGON.

Mais vous en avez déjà trop dit vous-même, pour ne pas achever.

TOINETTE.

Moi, Monsieur ?

ORGON.

Ce mot d’émotion qui vous est échappé, par exemple, ne signifie-t-il rien, à votre avis ?

TOINETTE.

Ah ! je m’aperçois qu’il faut prendre garde à ce qu’on dit devant vous.

ORGON.

Croyez-vous donc que je manque de pénétration ?

TOINETTE.

Au contraire, Monsieur, je vois que vous en avez infiniment.

ORGON, à part.

Elle cherche à éluder mes questions ; prenons un autre tour.

TOINETTE, à part.

Ô le malicieux vieillard !

ORGON.

Vous me cachez ce que je découvre moi-même... Passons. Votre maîtresse a des manières qui plaisent. Mais quel est le fond de son caractère ?

TOINETTE.

Pourquoi me faites-vous cette question ?

ORGON.

Prenez bien garde à ce que vous répondrez. Il ne s’agit pas moins que de la fortune de votre maîtresse.

ΤΟΙΝΕΤΤΕ.

De sa fortune ? Oh ! Monsieur, vous ne pouvez pas mieux placer vos bienfaits.

ORGON.

Est-elle complaisante, docile, prévenante ?

TOINETTE.

Oui, Monsieur, et de plus très économe.

ORGON.

Vous la croyez donc propre à rendre un mari heureux ?

TOINETTE.

Elle est toute formée pour cela.

ORGON.

A-t-elle le cœur un peu tendre ?

TOINETTE.

Comment ?

ORGON.

Et tout neuf ?

TOINETTE.

Qu’entendez-vous par-là ?

ORGON.

Quelqu’un n’est-il pas parvenu à la rendre sensible ?

TOINETTE.

Bon ! à quoi allez-vous penser ?

ORGON.

Elle ne vous a pas mise dans sa confidence ?

TOINETTE.

Quelle idée ! Ne connaissez-vous pas là-dessus la discrétion des filles ?

ORGON.

Oh ! elle sera bien dissimulée, si je ne lui arrache pas son secret.

TOINETTE.

Son secret, dites-vous ?

ORGON.

Elle vient. Laissez-moi seul avec elle.

TOINETTE.

Ô ciel ! nous sommes découverts.

 

 

Scène XI

 

ORGON, CLARICE

 

ORGON.

Je vous attendais, Mademoiselle ; et je brûle de vous entretenir.

CLARICE.

Ce que mon oncle m’a dit, sans s’expliquer, ne me donne pas moins d’impatience.

ORGON.

C’est en dire trop, et je pourrais à ce sujet me former des idées, qui seraient fort au-dessus de la réalité.

CLARICE.

Si vous me connaissiez, vous verriez qu’elles seraient bien éloignées d’y atteindre.

ORGON.

Vous me ravissez... Il est donc vrai que je ne me suis point abusé... Ne doutez plus que je ne vous connaisse. Oui, oui, je vous connais.

CLARICE, avec effroi.

Vous me connaissez !

ORGON.

J’ai pénétré vos dispositions... vous ne me haïssez pas.

CLARICE.

Ah ! Monsieur, que mes sentiments à votre égard sont différents de la haine !

ORGON.

Ceux que j’ai conçus pour vous en diffèrent bien davantage.

CLARICE.

Mon bonheur serait parfait, s’ils étaient tels que je le souhaite.

ORGON.

Ne seriez-vous pas bien aise de passer votre vie avec moi ?

CLARICE.

Une grâce si singulière serait toute ma félicité.

ORGON.

J’aurais pour vous une complaisance extrême.

CLARICE.

Je tâcherais de la mériter par mon attachement.

ORGON.

L’heureux hasard que celui qui m’a offert à vos yeux !

CLARICE.

Que n’ai-je eu ce bonheur plutôt !

ORGON.

À quoi dois-je des sentiments si favorables ?

CLARICE.

Un mouvement secret me les inspire.

ORGON.

Je ne vous suis donc pas indifférent ?

CLARICE.

Non ; vous ne me l’êtes point, et je ne puis vous refuser l’estime la plus parfaite.

ORGON.

Oui, l’estime ! Ah ! que ce mot est joli ! il est inutile de l’expliquer. C’est de l’amour, n’est-ce pas ?

CLARICE, doucement.

De l’amour !

ORGON.

Ne vous en défendez point. À mon âge on voit clair. Avouez franchement que vous m’aimez.

CLARICE.

Vous ne vous trompez pas, Monsieur. Je vous aime, et je ne rougis point de le dire... Mais...

ORGON.

Point de mais, je vous prie. Le mot est lâché, mignonne. Il n’est plus temps de chercher des détours. Je suis enchanté de cet aveu. Vous serez satisfaite. Je vais parler à votre oncle. Souffrez que je vous quitte.

CLARICE, à part.

Quel est donc son dessein ?

ORGON.

Mais le voici lui-même.

CLARICE, à part.

Allons cacher ailleurs le trouble où je suis.

ORGON, à Clarice.

Vous sortez ?

CLARICE.

Ma présence, je crois, n’est pas nécessaire.

ORGON.

J’entends. Il faut laisser agir votre modestie.

 

 

Scène XII

 

ORGON, LISIMON

 

LISIMON.

Je viens trop tôt, sans doute, et j’ai interrompu votre entretien.

ORGON, d’un air gai.

Point du tout. Vous ne pouviez pas venir plus à propos.

LISIMON.

Vous êtes bien joyeux !

ORGON.

Plus je vois votre nièce, plus je la trouve charmante.

LISIMON.

Vous voudriez bien, j’en suis sûr, que la femme de Cléante lui ressemblât.

ORGON.

À propos de lui. J’avais résolu de faire casser son mariage ; mais je change d’avis.

LISIMON.

Voilà une résolution très louable.

ORGON.

Je saurai le punir d’une autre manière.

LISIMON.

Quoi ! vous êtes toujours aigri contre lui ?

ORGON.

J’ai envie de me marier.

LISIMON.

De vous marier !

ORGON.

Oui, de me marier. J’aurai des enfants qui partageront mon bien avec mon pendard de fils, et cela le mortifiera.

LISIMON.

L’idée est singulière.

ORGON.

Et très sensée.

LISIMON.

Vous avez quelque personne en vue ?

ORGON.

Certainement.

LISIMON.

Puis-je savoir quelle est l’heureuse Mortelle sur qui tombe l’honneur de votre choix ?

ORGON.

C’est une personne pleine de raison, de bon sens, d’esprit, et qui brille de toutes sortes de vertus ; en un mot, votre nièce.

LISIMON.

Vous vous moquez.

ORGON.

Je ne me moque point.

LISIMON.

Vous n’y pensez pas.

ORGON.

J’y pense très fort.

LISIMON.

Elle vous plaît donc ?

ORGON.

Infiniment.

LISIMON.

Vous voilà amoureux ?

ORGON.

Amoureux ou non, je suis déterminé à l’épouser.

LISIMON.

Tout de bon ?

ORGON.

Tout de bon.

LISIMON.

Il y a cependant une petite difficulté qui pourra traverser cet affaire.

ORGON.

Quelle est-elle ?

LISIMON.

Nous ne sommes point d’humeur, son père ni moi, de forcer son inclination.

ORGON.

Je ne l’exige point.

LISIMON.

Elle ne nous a jamais donné aucun sujet de mécontentement ; et par les qualités qu’elle possède, elle mérite de notre part toutes sortes de considérations.

ORGON.

D’accord.

LISIMON.

Ainsi il faut voir si son penchant est conforme au vôtre.

ORGON.

Si vous n’avez que cet obstacle à m’opposer, ce n’est rien.

LISIMON.

Plaît-il ?

ORGON.

Ce n’est rien, vous dis-je.

LISIMON.

Expliquez-vous.

ORGON.

Apprenez, mon cher ami, que votre nièce m’aime.

LISIMON.

Ma nièce ?

ORGON.

Et qu’en m’approchant, elle s’est évanouie par un effet de sympathie pour moi.

LISIMON, à part.

Quelle extravagance !

ORGON.

Que dites-vous ?

LISIMON.

Je dis qu’il y a beaucoup d’apparence.

ORGON.

Elle m’aime, encore une fois. C’est un fait incontestable.

LISIMON.

Cela étant, voilà l’affaire fort avancée.

ORGON.

Je la regarde comme faite.

LISIMON.

Et moi aussi.

ORGON.

Je ne me sens pas de joie.

LISIMON.

Ni moi non plus.

ORGON.

Je veux lui donner un petit divertissement, pour la préparer au bonheur que je lui destine.

LISIMON.

Cela est fort bien pensé.

ORGON.

Pourrons-nous avoir des violons, des chanteurs, des danseurs ?

LISIMON.

Sans difficulté. J’ai un de mes voisins qui a chez lui un opéra tout entier.

ORGON.

À merveille ! Voulez-vous prendre sur vous le soin de cette fête ?

LISIMON.

Volontiers, et je vais tout préparer pour cet effet.

À part.

Il donne de lui-même dans le piège, et je crois que nous le tenons.

 

 

Scène XIII

 

ORGON

 

Voilà une aventure qui me fera rajeunir de plus de vingt ans, et qui me dédommagera pleinement des chagrins que Cléante me cause. S’il s’est marié à sa fantaisie, je me marierai à la mienne : et ni lui, ni personne, n’aura lieu de s’en formaliser. Quelle différence de lui à moi ! C’est à mon âge qu’il convient de prendre une femme par inclination. Pour sentir un amour raisonnable, il faut être en état de juger du mérite d’une Belle, et un jeune éventé en est-il capable ? Il n’y a que nous qui nous y connaissions. Aussi n’y a-t-il que nous qui fâchions aimer, et qui puissions aimer légitimement.

 

 

Scène XIV

 

ORGON, TOINETTE

 

ORGON.

Ah ! vous voilà, Toinette ?

TOINETTE.

Qu’y a-t-il donc de nouveau, Monsieur ? Je viens de voir Monsieur Lisimon sortir du logis avec empressement.

ORGON.

Je l’ai chargé d’une commission, qui va répandre dans toute la maison le plaisir que je sens.

TOINETTE.

Effectivement, vous avez l’air bien satisfait.

ORGON.

On ne peut pas être plus content que je le suis.

TOINETTE.

Apprenez-moi, de grâce, le sujet de votre joie, afin que je me réjouisse aussi.

ORGON.

Cela ne se peut pas. La bienséance veut que j’en instruise votre maîtresse avant vous et c’est ce que je vais faire. Adieu... Vous allez être toutes deux bien étonnées.

 

 

Scène XV

 

TOINETTE

 

Ouais ! Quelle nouvelle folie achève de lui démonter la cervelle ? Il me prend tout à coup un accès de curiosité et d’inquiétude. Je ne vois pas trop quelle sera la fin de cette intrigue. Après tout, quel inconvénient en peut-il arriver ? Monsieur Orgon se met dans la tête que ma maîtresse l’aime. Ce n’est pour lui qu’une erreur de plus. Bagatelle... Mais il est amoureux, et ceci est une affaire sérieuse... Pourquoi ? C’est sa faute. Ma maîtresse ne prétendait lui inspirer que de l’estime, et il a pris de l’amour. Oh tant pis pour lui. Oui, oui, Monsieur Orgon, tant pis pour vous.

 

 

Scène XVI

 

CLARICE, TOINETTE

 

CLARICE.

Hé bien ! Toinette, que t’a dit Monsieur Orgon ?

TOINETTE.

Vous ne l’avez pas rencontré ? Il vient de sortir pour vous aller chercher.

CLARICE.

Je ne l’ai point vu. Sais-tu quelle résolution il a prise ?

TOINETTE.

Je n’ai pu rien tirer de lui, et il m’a déclaré positivement, que c’était à vous, Madame, qu’il réservait le secret qu’il m’a caché.

CLARICE.

Par quelle bizarrerie va-t-il s’imaginer que j’ai de l’amour pour lui ?

TOINETTE.

Que vous importe ? Un mot suffira pour le désabuser.

CLARICE.

Hé ! puis-je le désabuser sans me perdre ? Car tu le vois, Toinette ; ce qu’il sent pour moi est aussi de l’amour.

TOINETTE.

Tant mieux. Avec cela, un vieillard est bien faible, et vous ferez de lui ce qu’il vous plaira.

CLARICE.

Je tremble qu’il ne m’arrive tout le contraire, lorsqu’il connaîtra son erreur. Quelle femme s’est jamais vue dans l’embarras où je me trouve ?

TOINETTE.

Je le vois qui entre. Songez à vous. Je sors, Surtout prenez courage.

 

 

Scène XVII

 

ORGON, CLARICE

 

ORGON.

Vous me voyez transporté de joie, Mademoiselle, et il ne tient plus qu’à vous de me rendre le plus heureux de tous les hommes.

CLARICE.

De quelle manière, Monsieur, puis-je vous prouver le zèle ardent que j’ai pour vous ?

ORGON

Le zèle ardent ! Ce n’est pas cela que je vous demande. À quoi bon éluder, comme vous faites, le terme d’amour qui seul peut me satisfaire ? Ne m’avez-vous pas dit que vous m’aimiez ?

CLARICE.

Je vous l’ai dit, sans doute ; et je suis prête encore à vous le confirmer. Je vous aime, Monsieur comme le meilleur ami de ma famille, et de ce que j’ai de plus cher au monde, comme un second père, et même comme un protecteur, dont l’appui mettrait le comble à ma félicité.

ORGON.

Je ne comprends rien à ce que vous me dites. Nous ne nous entendons point, et vous ne répondez pas à mes sentiments. Car enfin, je vous adore, et je viens de vous demander en mariage à votre oncle.

CLARICE.

Moi, Monsieur ?

ORGON.

Vous-même.

CLARICE, à part.

Ô ciel ! quelle nouvelle !

ORGON.

Vous n’en êtes pas fâchée ?

CLARICE.

Je suis ravie que vous me trouviez digne de l’attachement d’un honnête homme... Mais...

ORGON.

Achevez.

CLARICE.

Se peut-il que vous pensiez à m’épouser ? Ah ! Monsieur, renoncez à ce projet. Conservez-moi votre estime. Elle m’est infiniment précieuse. Personne ne vous respecte et ne vous révère plus que moi ; si ce n’est, peut-être, votre fils : et je reconnais en vous tant de bonté, de douceur et de complaisance, que, sans un obstacle invincible, je ne balancerais pas à vous donner ma main.

ORGON.

Quel est donc cet obstacle ?

CLARICE.

Je ne saurais vous le cacher, et mon cœur ne demande qu’à s’épancher dans votre sein... Vous le dirai-je ? Vous allez me haïr. Ce cœur...

ORGON.

Hé bien ! Mademoiselle ?

CLARICE.

J’en ai disposé, et il n’est plus à moi.

ORGON.

Un autre le possède ?

CLARICE.

Et le possédera toujours.

ORGON.

Sentiments romanesques ! Quand la Jeunesse aime une fois, elle croit être capable d’aimer éternellement. C’est un feu follet qui se dissipera.

CLARICE.

Non, mon amour ne s’éteindra jamais. L’estime et la raison l’ont fait naître, la reconnaissance l’exige, et le devoir le justifie.

ORGON.

Le devoir !

CLARICE.

L’engagement le plus fort nous attache l’un à l’autre.

ORGON.

Une promesse de mariage, peut-être ?

CLARICE.

Ce n’est pas-là le plus fort engagement.

ORGON.

Comment donc ! seriez-vous mariée ?

CLARICE.

Modérez votre colère. J’avoue que je la mérite ; mais je mérite encore plus votre compassion. Si je vous avais connu, avant que de former des nœuds qui vous révoltent, ou j’y aurais renoncé, ou vous les auriez approuvés. Considérez ma triste situation. Les sentiments que j’ai pour vous me forcent de condamner une alliance si chère, et je crains que ceux que vous avez pour moi ne détruisent un bonheur dont ils auraient été la source.

ORGON.

Je ne puis le nier. La nouvelle de votre mariage m’afflige autant qu’elle me surprend ; et j’ai lieu de me plaindre du mystère que l’on m’en a fait.

CLARICE.

Mon oncle n’a pu vous en parler. Nous nous sommes unis mon mari et moi, sans l’aveu de nos parents.

ORGON.

En voilà bien d’une autre !

CLARICE.

Et vous ne devez ma confidence qu’à la confiance extrême que j’ai en vous.

ORGON.

Je ne m’étonne plus que vous ayez défendu mon fils avec tant de chaleur.

CLARICE.

Nos causes sont pareilles, et j’ai jugé des motifs qui l’ont fait agir, par ceux qui m’ont entraînée. Puissiez-vous trouver dans son épouse autant de vertus que j’en ai trouvé dans mon époux ! Car ne pensez pas que son mérite extérieur, et les vaines richesses qu’il possède, aient été capables de m’éblouir. J’aime en lui des dons plus rares et plus précieux ; des dons qui doivent me justifier aux yeux de tout le monde, et qui seuls me l’auraient fait préférer à tout autre, comme ils m’ont fait tout sacrifier au bonheur d’être à lui. Jugez, par le prix qu’il me coûte, combien il doit m’être cher. Ah ! je ne survivrais pas au coup qui nous définirait. Cependant ce malheur est tout près de m’accabler, si vous n’avez pitié de moi, et si l’estime, dont vous voulez bien m’honorer, n’est pas un acheminement à la grâce que j’attends de votre générosité.

ORGON.

Vous m’arrachez des larmes... J’entends à présent le titre de protecteur que vous m’avez donné.

CLARICE.

C’est en vous seul que j’espère.

ORGON.

Vous souhaitez que j’embrasse vos intérêts auprès de votre oncle ?

CLARICE.

Je n’ai point d’autre appui que vous.

ORGON.

Oui, oui, je ferai le vôtre. La tendresse que j’ai pour vous ne vous sera pas inutile. Je vais découvrir votre mariage à votre oncle, et l’engager à l’approuver, pour travailler ensuite de concert à le faire goûter à votre père.

CLARICE.

Que je suis charmée des dispositions où je vous vois !

ORGON.

Le voici justement.

CLARICE.

Je vous laisse. Songez, Monsieur, que c’est de vous seul que dépend ma félicité.

 

 

Scène XVIII

 

ORGON, LISIMON

 

LISIMON.

Votre commission est faite, Monsieur Orgon. Les Musiciens vont venir... Mais que vois-je ? Qu’avez-vous ? Vous me paraissez inquiet.

ORGON.

Ce n’est pas sans sujet, mon cher ami. Votre nièce ne veut absolument point m’épouser.

LISIMON.

Cela est extraordinaire.

ORGON.

Pas trop. Ce que j’ai à vous apprendre l’est bien davantage.

LISIMON.

Qu’est-il donc arrivé ?

ORGON.

La nouvelle est un peu chagrinante.

LISIMON.

Pour vous ?

ORGON.

Non, pour vous-même. Je me figure la peine qu’elle vous fera sur celle que je sens ; car je suis à peu près dans le même cas que vous.

LISIMON.

Je ne vous entends point.

ORGON.

Et je prends autant de part à votre situation que vous en avez pris à la mienne.

LISIMON.

Hâtez-vous de me tirer d’inquiétude.

ORGON.

N’avez-vous point quelques soupçons sur votre nièce ?

LISIMON.

À quelle occasion ?

ORGON.

N’a-t-elle pas été tentée de se marier ?

LISIMON.

Vous me demandez cela ! Ce n’est pas à un oncle que les filles confient de pareils secrets.

ORGON.

Aussi a-t-elle craint de vous en parler ; et c’est moi qu’elle a chargé de cette commission.

LISIMON.

Ma nièce a envie de se marier ?

ORGON.

Non, cette fantaisie est passée.

LISIMON.

Elle est mariée ?

ORGON.

Oui.

LISIMON.

Elle vous a fait cette confidence ?

ORGON.

Elle m’a assuré qu’elle avait épousé un très honnête homme.

LISIMON.

Juste ciel !

ORGON.

Ne vous fâchez pas, mon ami ; votre nièce à trop de lumières et de conduite, pour avoir fait un mariage indigne d’elle.

LISIMON.

Vous avez bonne grâce, en vérité, à prendre son parti !

ORGON.

C’est le moins que je puisse faire pour une personne que j’ai voulu épouser, et c’est un hommage que je rends à son mérite. Accordez-lui le pardon que je vous demande pour elle, et joignez-vous à moi, pour l’obtenir de son père.

LISIMON.

Vous exigez que je pardonne à ma nièce, vous qui ne voulez pas pardonner à votre fils !

ORGON.

Il y a bien de la différence. Votre nièce n’a pas épousé un homme sans bien.

LISIMON.

Cléante n’en a-t-il pas assez pour sa femme et pour lui ?

ORGON.

L’amitié vous prévient pour mon fils.

LISIMON.

Et l’amour vous prévient pour ma nièce.

ORGON, vivement.

Oh ! voilà de nos raisonneurs ! ils donnent des conseils, et n’en veulent suivre aucun.

LISIMON.

La réflexion est juste.

ORGON.

Ils condamnent ce que les autres font, et ils font comme eux.

LISIMON.

À l’application.

ORGON.

Vous ne voulez donc pas m’accorder la grâce de votre nièce ?

LISIMON.

Je ne vous la refuse pas absolument. Mais encore faut-il que vous vous mettiez en état de l’obtenir.

ORGON.

Par quel moyen, je vous prie ?

LISIMON.

En pardonnant à Cléante.

ORGON.

Vous revenez toujours à votre but.

LISIMON.

Il ne m’est pas possible de m’en écarter

ORGON.

Voilà un furieux entêtement !

LISIMON.

Vous avez beau dire. Je ne puis pardonner à ma nièce que vous ne pardonniez à votre fils.

ORGON, en colère.

Ce n’est pas la même chose, encore une fois.

LISIMON.

Et moi je vous dis que c’est la même chose.

ORGON.

Quel homme !... Mais, parbleu, je ne veux pas en avoir le démenti.

LISIMON.

Où allez-vous donc ?

ORGON.

Nous verrons si vous résisterez à ses larmes.

 

 

Scène XIX

 

ORGON, LISIMON, CLARICE, TOINETTE

 

ORGON, à Clarice.

Venez, Madame ; venez joindre vos prières à mes instances. Et vous, Lisimon, voyez si l’on peut rien refuser à une personne si charmante.

LISIMON.

Vos mesures sont inutiles, et je ne veux pas seulement la voir.

Il sort.

 

 

Scène XX

 

ORGON, CLARICE, TOINETTE

 

ORGON.

Il a perdu l’esprit.

CLARICE.

Hélas !

TOINETTE.

Peut-on pousser si loin l’opiniâtreté ?

CLARICE, à Orgon.

Il ne me reste donc plus d’espérance ?

ORGON.

Votre oncle m’impose des conditions si dures ! Vouloir que je pardonne à mon fils !

CLARICE.

Mon bonheur vous touche faiblement, si cet obstacle vous arrête.

ORGON.

Me croyez-vous capable d’une telle faiblesse ?

CLARICE.

En est-ce une que d’être père ?

ORGON.

Quoi ! vous prétendriez...

CLARICE.

Vous avez déjà eu pour moi tant de bontés ! Voulez-vous, par le refus d’une nouvelle grâce, me faire soupçonner que je ne les méritais pas, et que vous vous en repentez ? Vous avez daigné m’accorder votre estime. Un sentiment plus tendre s’y est joint encore. Ma main ne vous a pas paru indigne de la vôtre ; et quand je ne puis être à vous, vous poussez la générosité jusqu’à me défendre. Mettez le comble à tant de bienfaits, par un bonheur d’autant plus grand, que celui de votre fils en sera la source.

TOINETTE.

Ah ! Monsieur, cela fend le cœur.

ORGON.

Vous exigez de moi ce sacrifice !

CLARICE.

Tout ce que j’ai de plus cher y est attaché.

ORGON.

Vous abusez du pouvoir que vous avez sur moi.

CLARICE.

Votre fils est prêt à venir se jeter à vos genoux.

ORGON.

Est-ce que vous l’avez vu ?

CLARICE.

Il est ici.

ORGON.

Cléante ?

 

 

Scène XXI

 

ORGON, LISIMON, CLÉANTE, CLARICE, TOINETTE

 

LISIMON.

Oui, le voilà. Prononcez sur son sort. Mais songez qu’en même temps vous prononcerez sur celui de ma nièce.

ORGON.

Ah ! te voilà, libertin !

CLÉANTE.

Calmez votre courroux, mon père, et daignez m’entendre.

ORGON.

Oh ! il va nous dire de belles choses !

LISIMON.

Patience.

ORGON.

Fils dénaturé !

CLÉANTE.

Je mourrais plutôt que de mériter un titre si odieux.

ORGON.

Le beau mariage que vous avez fait !

CLÉANTE.

J’ose me flatter que vous l’excuseriez, si vous le regardiez du même œil que celui que vous avez voulu faire.

ORGON, à Lisimon.

Il va me donner des conseils.

À Cléante.

Avez-vous aussi amené la digne personne que vous avez épousée ?

CLÉANTE.

Oui, mon père.

ORGON.

Quelle insolence !

LISIMON.

Modérez-vous, mon cher Orgon.

ORGON.

Modérez-vous vous-même, et laissez parler votre nièce. Elle mérite mieux que vous d’obtenir ce qu’elle demande. Hé bien ! Madame, serez-vous encore favorable à Cléante, après la hardiesse qu’il a de se présenter devant moi ?

CLARICE.

Sa vue ne fait qu’augmenter l’intérêt que je prends en lui.

ORGON.

Quelle bonté !

À Cléante.

Et vous ne la remerciez pas, ingrat que vous êtes ?

CLÉANTE.

Madame fait bien que ma reconnaissance ne cède qu’au profond respect que j’ai pour vous.

ORGON.

Elle fait cela ! Quel discours !

LISIMON.

Soyez sûr qu’elle en est aussi persuadée que moi.

ORGON.

À l’autre !

CLARICE.

Non, Monsieur, je n’en doute nullement.

ORGON.

L’excellent petit cœur ! Allez, Cléante, vous n’êtes pas digne de ses bontés, ni des miennes... Mais enfin vous le voulez, Madame, et il faut bien vous satisfaire. Oui, si je pardonne à Cléante, ce n’est qu’en votre faveur, et qu’à condition que votre oncle vous pardonne.

CLÉANTE.

Ah ! mon père ! ah ! Clarice !

ORGON.

Clarice !

LISIMON.

Oui, c’est Clarice que vous voyez.

TOINETTE.

Elle-même.

ORGON, à Lisimon.

Votre nièce est sa femme !

LISIMON.

C’est sa femme, mais ce n’est pas ma nièce.

ORGON.

Qu’entends-je !

LISIMON.

Pardonnez-nous l’innocent stratagème dont nous nous sommes servis, pour vous faire connaître le mérite de votre belle-fille.

CLARICE, à Orgon.

C’est à moi à obtenir la grâce de votre fils, et je vous la demande à genoux.

CLÉANTE.

C’est à vos pieds que je l’attends.

LISIMON, à genoux.

Allons, mon ami, montrez un cœur de père.

TOINETTE, à genoux.

Allons, Monsieur, laissez-vous fléchir.

ORGON.

Je suis trompé... mais on ne peut l’être plus agréablement. Voilà qui est fini ; levez-vous tous les deux. Je vous pardonne, je vous donne mon amitié, et je vous reconnais pour mes enfants.

CLÉANTE.

Vous me rendez la vie.

Orgon embrasse Clarice.

CLARICE.

Je suis au comble de mes yeux.

LISIMON.

Votre réunion me charme : ne songeons qu’à nous réjouir.

TOINETTE.

Voilà, je crois, le premier homme que l’amour ait rendu raisonnable.


[1] D’un ton doux et tendre.

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